C’est une histoire bien connue des hôtels : des intermédiaires puissants qui dominent le marché et mettent la pression sur l’hôtelier pour baisser les prix et augmenter la commission. Avant, il s’agissait de tour-opérateurs, aujourd’hui il s’agit de Booking ou Expedia, qui s’arrangent très bien pour perpétuer le vieux modèle en l’adaptant aux nouvelles formes de distribution qui voient régulièrement le jour.
Cependant, et par définition, le fait que cette innovation casse la structure du marché ne les intéresse pas : tant que les promoteurs de toute innovation sont les intermédiaires, cette innovation ne prendra jamais le chemin espéré de la désintermédiation.
Depuis cette année, le dernier chapitre de la série s’appelle Expedia-Groupon et Booking-Facebook. De nombreux hôtels ont déjà reçu l’appel de Booking pour participer :
- Expedia a établi un accord avec Groupon, un site internet qui se développe à toute allure et qui est basé sur le fait que les utilisateurs s’inscrivent pour recevoir des offres spéciales. La caractéristique du site consiste en la distribution des offres sous forme de coupons.
- Booking.com, pour sa part, a lancé Flash Deals : des remises de 50% uniquement proposées aux fans de Booking sur Facebook. Au moment où nous écrivons, il compte 183.000 fans.
Bien que les nouvelles plateformes de réseaux sociaux, les coupons onlines, etc., paraissent très avancés, il n’y a rien d’innovant derrière cela quant au modèle de marché. Il s’agit du même cercle vicieux que l’on connaît depuis toujours :
1. L’hôtelier a besoin de clients : Beaucoup. Chaque jour.
2. L’intermédiaire propose des clients et l’hôtel accepte, ravi.
3. Le nombre de clients n’ai jamais suffisant. Il y a beaucoup de chambres à remplir, l’année est longue et les coûts fixes mettent la pression.
4. L’intermédiaire propose d’avantage de clients en échange d’une commission plus importante et d’un tarif revu à la baisse.
5. Les hôtels de la concurrence ont également besoin d’avantage de clients et acceptent également.
6. L’intermédiaire encourage une concurrence diabolique entre les hôtels pour baisser les prix et augmenter la commission
7. À court terme, cela fonctionne et d’avantage de clients arrivent, volés aux hôtels de la concurrence.
8. À long terme, la clientèle n’augmente pas car les autres hôtels réagissent et font de même.
9. L’hôtelier paie de plus en plus cher l’intermédiaire pour qu’il lui obtienne des clients.
10. Les clients perçoivent le message indiquant que, pour réserver, il faut passer par les intermédiaires.
11. L’intermédiaire réinvestit l’énorme commission pour sa distribution et sa visibilité.
12. L’hôtelier n’investit pas la même somme dans les mêmes actions pour sa vente directe
13. L’Intermédiaire, alimenté par l’hôtel, gagne des parts de marchés.
14. La vente directe de l’hôtel, dépourvue de ce même investissement, perd des parts de marchés.
Cette pyramide en chute libre cadrait aussi bien il y a 30 ans, avec le marché dominé par les tour-opérateurs, qu’aujourd’hui, avec les opérations de Booking et Expedia supposément sophistiquées. Les coupons d’Expedia-Groupon ou les Flash Deals de Booking-Facebook ne vont sauver aucun hôtel de la pyramide descendante. Au contraire, ils vont le pousser d’avantage vers le bas.
Avant, l’intermédiaire investissant sa marge bénéficiaire dans des dépliants, des publicités classiques et des commissions aux détaillants. Aujourd’hui, Booking et Expedia utilisent la commission des hôtels pour payer Adwords, SEO, affiliés et fidélisation de nouveaux noms pour des actions semblables.
Les grandes idées n’en sont finalement pas vraiment
Les différents intermédiaires qui ont accompagné le secteur au cours de ces années ont toujours trouvé une raison innovante pour convaincre l’hôtel que l’échelon suivant montait au lieu de descendre : le temps confirme que les supposées révolutions technologiques ne profitent commercialement qu’aux intermédiaires les plus malins. L’hôtelier, des années après, est toujours aussi soumis. Quelques exemples de fausses révolutions :
- “Vendre via internet”, généralement ainsi : il s’agit supposément d’une grande avancée technologique libératrice. De nombreuses agences en ligne l’ont vendu avec succès en tant qu’énorme coup de pouce qu’aucun hôtel ne pouvait refuser. 15 ans plus tard, le même ancien modèle de dépendance s’est reproduit sur la nouvelle plateforme, le prix continue d’être érodé, et la commission et la dépendance ont augmenté.
- Les carnets de chèques Bancotel : une prétendue grande idée qui a effectivement porté ses fruits… pour son créateur. L’excuse était l’innovation que représentait le concept du carnet de chèques, avec des conditions parfaitement définies qui justifiaient son caractère exceptionnel. Pour l’hôtelier, au final rien de nouveau : d’avantage de clients uniquement dus à d’avantage de super remise + super commission à cet intermédiaire qui a eu l’idée du moment.
- Prix opaques : l’appât, dans ce cas, est une invention qui évite le discrédit que suppose l’exposition publique d’une super remise. N’est-ce pas le même argument que proposaient les tour-opérateurs en occultant le prix net de l’hôtel en super promotion dans des packages incluant l’avion ?
Chacune de ces idées cache une condition spécifique qui l’a rendue légèrement différente et qui a apaisé la mauvaise conscience de l’hôtelier au moment de baisser le prix et d’augmenter la commission en raison de cette nouvelle forme de distribution. De plus, il y a toujours un puissant argument derrière : “Être à la page”. Que se passera-t-il si je suis à la traîne ? Que se passera-t-il si mon concurrent y va et pas moi ? Que se passera-t-il si cela fonctionne réellement ?… et effectivement cela finit souvent par fonctionner… À court terme.
Aujourd’hui, “être à la page” s’appelle coupons et Facebook à travers Expedia et Booking.
Leur appât consiste en un concept clé, commun dans les deux cas : la distribution s’effectue uniquement à travers les utilisateurs inscrits, ce qui justifierait le fait de proposer des prix plus bas que les prix publics. C’est l’argument que Booking avance à l’hôtel : “Donnez-moi des tarifs super bas car ils sont confidentiels”.
Le piège est double :
- Ils demandent à l’hôtelier de casser la parité des prix à leur avantage alors qu’ils ne tolèrent pas que l’hôtel en fasse de même dans le cadre de sa vente directe.
- Pour les utilisateurs, s’inscrire à Flash Deals est si simple (il suffit de cliquer sur l’icône “J’aime” de Facebook) que les dénommer « confidentiels » ressemble à une blague.
Les bonnes nouvelles
Tout n’est pas sombre et pessimiste dans ce panorama :
Flash Deals ou coupons vont probablement avoir du succès, mais uniquement en transférant les clients d’un hôtel à l’autre : heureusement, un coup d’œil rapide aux hôtels participants n’en montre pratiquement aucun à Madrid, Barcelone ou Paris, contrairement à l’offre abondante des hôtels de vacances. Serait-ce une preuve d’espoir de la culture traditionnelle plus avancée des hôtels urbains par rapport aux hôtels de vacances ?
L’autre raison d’être optimiste est que, il y a 20 ans, l’hôtel n’avait aucune alternative face à la dépendance de l’intermédiaire, aujourd’hui il en a une. Il suffit de faire un pas en avant, cette-fois-ci en direction ascendante : doter la vente directe du même financement ou plus que celui qu’utilisent Booking et Expedia. Et, au jour d’aujourd’hui, les mêmes actions de promotion que réalise Booking sont parfaitement réalisables pour le site internet officiel de l’hôtel :
- Vous payez énormément Booking pour qu’il passe fasse de la publicité sur Google. Payez-vous autant ou d’avantage pour faire la publicité de votre site ?
- Vous payez Booking pour qu’il optimise votre site internet et que ce dernier soit intuitif et simple d’utilisation. Investissez-vous et vous préoccupez-vous autant de votre site web ?
- Vous payez Booking pour qu’il redistribue à des tiers. Sur votre site internet aussi ?
- Vous payez Booking pour être sur Facebook et offrir les meilleures conditions. Avez-vous une page Facebook ? Qu’y proposez-vous ?
- Vous payez Booking pour qu’il bombarde continuellement des milliers d’utilisateurs avec vos newsletters. Captez-vous des souscripteurs directs dans votre hôtel ? Leur envoyez-vous vos news et promotions chaque mois ?
La contradiction
Il ne s’agit pas d’une critique vis-à-vis de Booking ou Expedia, ni même des tour-opérateurs traditionnels. Ils ont réalisé un excellent travail en promouvant nos hôtels et nos destinations, et ont su gagner beaucoup d’argent aux dépens des hôteliers. À tout moment, ils ont su innover et s’adapter à chaque nouvelle idée et aux différents états du marché électronique, dans lequel le secteur du tourisme est pionnier.
Il ne s’agit pas non plus d’une critique vis-à-vis des hôtels qui jouent le jeu s’ils le font consciemment, tout en connaissant ses inconvénients (bien que je doute qu’il en soit ainsi : je crois plutôt qu’il s’agit de mauvaises décisions prises dans un moment de désespoir).
Ce qui est discutable c’est la contradiction de certains hôtels qui se lamentent et sont furieux et qui, en même temps, continuent de les alimenter avec de MEILLEURES CONDITIONS que celles qu’ils accordent à l’alternative qui pourrait les soulager, leur site internet officiel, en transmettant à l’utilisateur le message exprimant que, pour réserver leur hôtel, le mieux est de passer par Booking.
Aujourd’hui, l’alternative est là, dans l’attente de l’attention de l’hôtelier. L’analyse de cette voie requerrait la rédaction de nombreux autres articles mais, à partir de celui-ci, la boussole qui pourrait montrer le chemin serait celle qui suivrait ces trois grandes règles :
- 1. Innovez au niveau de votre vente directe.
- 2. Financez-la autant ou d’avantage que la somme que vous allouez à l’intermédiaire le plus cher.
- 3. Surveillez les moments de faiblesse de la basse saison : si vous faites des super remises ou payez des super commissions, faites-le sur tous les circuits.
… et si tout ceci résulte trop cher pour vous, alors vous devriez réfléchir sur le sens de toute solution basée sur la super remise + super commission.