Aude Naveilhan9 minutes de lecture

Le talon d’Achille de la distribution

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L’inégale relation entre distribution et producteur

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La distribution a toujours dominé les relations avec le producteur. Carrefour ou Galeries Lafayette, et plus récemment Amazon, sont les équivalents dans le secteur hôtelier de TUI, Hotelbeds et Booking.com. Pendant ce temps, le propriétaire du produit, l’hôtel dans notre cas, voit sa marge de plus en plus réduite et ne sait pas quoi faire.

Les clés du succès du distributeur, même si elles ne sont pas faciles à reproduire, sont simples :

  • Volume ou échelle pour diluer les coûts fixes et gagner un pouvoir de négociation afin de diminuer le coût unitaire.
  • Important investissement technologique.
  • Présence sur les meilleures vitrines (visibilité), inaccessibles pour le producteur.
  • Pression constante sur ses producteurs pour augmenter ses marges de distribution et garantir le stock.
  • Maximisation du revenu (revenue management du PVP, en jouant sur sa propre marge) pour lequel il est primordial de pouvoir fixer le prix de vente final.
  • Contrôle drastique pour s’assurer que ce produit ne se vend pas ailleurs à un coût inférieur (contrôle de parité) et réagir si le cas se présente.

De nos jours, la majorité des producteurs dépendent de la distribution pour vendre. Mais il existe des success story comme Apple, Dell ou encore Zara qui nous démontrent le contraire,même si cela n’est pas réservé seulement à de grandes entreprises et que beaucoup de petites marques y soient également parvenues.

De la même manière, beaucoup de chaînes hôtelières ont réussi à réduire leur dépendance face à l’intermédiation, ainsi que des centaines d’hôtels indépendants qui sont en train de suivre la même voie. Ils ont lutté et ont trouvé avec la distribution une relation beaucoup plus équilibrée et rentable pour leurs intérêts.

À conditions égales, le grand sort toujours vainqueur

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Il y a quelques années, l’industrie hôtelière a accepté, dans le monde en ligne, la stratégie de « parité de stock » et de « parité des prix ». Cela paraissait alors équitable et, pour beaucoup, cela semble toujours valable aujourd’hui. Les mêmes conditions pour tous et que le meilleur gagne. Que s’est-il passé ? Les grandes OTA et, sur les destinations de vacances les grandes « banques de lits » (qui vendent majoritairement par internet), se sont taillés la part du lion. Que s’est-il passé sur les marges ? Les hôtels n’allaient-ils pas gagner plus avec l’arrivée d’internet ? Où se retrouve la vente directe ?

Les hôtels sont en train de prendre le même chemin que celui emprunté par les petits commerces dans leur lutte contre la grande distribution. Et cela était évident, les résultats s’annoncent identiques.

La boutique de chaussures du quartier qui luttait contre les Galeries Lafayette

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Un célèbre fabricant de chaussures possède une boutique en centre-ville. Il ne fabrique que 50 unités par jour et les vend 100€ la paire. Afin d’en vendre davantage, il passe un accord avec les Galeries Lafayette et y distribue ses chaussures au même prix de 100€. Après plusieurs années, il se rend compte que la grande majorité de ses ventes provient des Galeries Lafayette et qu’il ne vend quasiment plus rien dans sa boutique qui fonctionnait plutôt bien auparavant. Au final, il gagne moins d’argent car la commission qu’il doit verser est très élevée.

Après analyse des causes, il se rend compte de ce qui est en train de se passer :

  • Il n’a qu’une seule boutique face à beaucoup d’autres, situées dans les meilleures rues de la ville en outre.
  • Sa boutique ouvre 5 jours par semaine et 10 heures par jour contre 7 jours par semaine et 24 h/24 pour la grande enseigne (vente par Internet).
  • Il parle 2 langues tout au plus contre 20 dans les autres.
  • Il permet l’échange des achats, les Galeries Lafayette, elles, remboursent intégralement.
  • Il ne propose pas de crédit alors que la grande enseigne offre des possibilités de financement.
  • Il n’accepte que les cartes Visa et Mastercard contre 12 cartes de crédit différentes dans la grande enseigne.
  • Il ne cherche pas à se faire connaître alors que les Galeries Lafayette font de la publicité à la télévision, dans les catalogues et sur les panneaux publicitaires.

Il décide de prendre les choses en main : il élargit ses horaires d’ouverture pour toucher plus de clients, il fait de la publicité dans toute la ville, il embauche du personnel trilingue, il passe un accord avec sa banque pour accepter les moyens de paiement Amex et UnionPay (ce qui lui amènera beaucoup de clients chinois) et, enfin, il booste sa présence sur les réseaux sociaux (où apparemment beaucoup de clients font des recherches).

Les résultats s’améliorent mais pas comme pas autant qu’il l’espérait cependant. En revanche, ce qui a augmenté, et beaucoup, ce sont ses coûts. Effectivement, s’il fait les comptes, son coût de vente directe a tellement augmenté que cela le préoccupe vraiment. Il se rend compte qu’il rivalise avec les Galeries Lafayette, une enseigne qui est nettement supérieure (la technologie et la capacité d’investissement), une situation face à laquelle il ne peut pas faire grand chose.

Après plusieurs années, il se sent frustré et pense à jeter l’éponge.

Et si nous traitions le problème à la base ? Le stock

Fatigué de mener une bataille qui n’est pas la sienne, le propriétaire décide de remettre en question la formule consacrée, quelque chose de tabou jusqu’alors : la parité de stock et de prix.

Il décide alors de monter le prix de ses chaussures aux Galeries Lafayette à 115€, obligeant le client à prendre une décision qui était très facile auparavant : faire l’effort d’aller acheter dans la petite boutique avec les inconvénients que cela suppose, ou payer plus pour conserver la commodité des Galeries Lafayette. Il est surpris de voir que d’un jour à l’autre ses ventes augmentent énormément dans sa boutique.

 

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Beaucoup de clients s’y rendent pour profiter de cette économie mais ce sont surtout les ventes de son site internet qui explosent. Il découvre que les Galeries Lafayette réalisait une grande partie de la vente par internet. C’est à peine s’il y comprend quelque chose !

Remotivé, il va plus loin. Il sait qu’en période de Noël ou de soldes, il écoule toute sa production sans aucun problème. C’est à ce moment-là qu’il a le moins besoin des Galeries Lafayette. Deux possibilités s’offrent à lui :

1) Augmenter le prix aux Galeries Lafayette, au point que cela soit aussi rentable pour lui que de vendre directement.

2) Vendre exclusivement dans sa boutique à condition, pour y parvenir, d’investir dans la publicité pour se faire connaître.

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Il trouve ainsi la formule et gagne plus d’argent. Il se rend compte que beaucoup de clients continuent de se rendre aux Galeries Lafayette et qu’ils n’achètent pas ses chaussures (soit parce qu’elles sont plus chères, soit parce qu’elles n’y sont plus tout simplement). Mais comme ce sont des dates à forte demande, il n’est pas inquiet parce qu’il écoule tout sa production de la même manière.

La meilleure stratégie pour concurrencer les OTA passe par une bonne gestion du stock

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Comme vous l’aviez deviné, la boutique de chaussures c’est l’hôtel, et les Galeries Lafayette, l’écrasante domination des OTA. Comme la boutique de chaussures, les hôtels n’ont aucune possibilité de concurrencer les OTA en matière d’investissement, de technologie, de visibilité et même de marque. Garder le rythme sur le SEO, le SEM, les méta-moteurs, les améliorations du site internet, les langues, les widgets comparateurs de prix, le marketing programmatique, etc. est une chimère qui, en plus de générer beaucoup de frais, entraîne frustration et perte de rentabilité.

Les hôtels doivent comprendre qu’ils possèdent une seule chose

que la distribution n’a pas : les chambres.

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Dit autrement, sans vos chambres, la distribution ne peut rien faire même si elle possède tout l’argent du monde. Le fait de ne pas disposer de stock et de dépendre des hôtels est le talon d’Achille de la distribution.

De nos jours, le prix n’est plus au cœur de la bataille comme c’était le cas il y a quelques années. Beaucoup d’hôtels reconnaissent que la dernière chambre est vendue par les OTA même plus cher que sur leur propre site internet. Ce que recherche les OTAs surtout en période de forte demande ce sont des chambres, de la disponibilité, du stock…À notre grand regret, les grandes OTA telles que Booking.com et Expedia vendent, bien qu’elles ne disposent pas du meilleur tarif, et le pire c’est que cela progresse. Si nous continuons ainsi, où en serons-nous dans 5 ans ?

Le grand devoir des hôtels est d’acquérir le savoir-faire qui leur permettra de rentabiliser au maximum leur bien le plus précieux et l’unique élément qui les distingue de la distribution : leurs chambres. Ils doivent décider où et à quel prix vendre leurs chambres dans chacun des canaux, en enterrant une bonne fois pour toutes la formule sacrée de la « parité de stock et de prix ».

Les ennemis pour briser la parité de stock

Pour en finir avec la parité de stock, les hôtels ont besoin de surmonter des obstacles qui ne sont pas toujours évidents :

  • Technologie. Il y a un déficit fonctionnel évident dans les channel managers qui rend impossible la gestion optimale du stock. Vous devez choisir un channel qui vous permettra de segmenter votre inventaire et de le gérer différemment dans chaque canal et selon les règles de business. Vous devez bannir la configuration habituelle d’un grand nombre de channel managers de « pool partagé en two-way » puisqu’elle profite aux canaux avec une anticipation supérieure (tour-opérateurs,  OTA). Voici un exemple d’action qui pourrait être configurée sur un channel : fermer Hotelbeds, augmenter de 8% Expedia et de 4% Booking.com et ajouter 3 nuits de séjour minimum à une date concrète lorsque le taux d’occupation atteint 60% et que l’anticipation est supérieure à 30 jours.
  • Connaissance des canaux et de leurs anticipations. Il est primordial d’anticiper quels sont les canaux les moins rentables et qui vendent avec une grande anticipation puisqu’ils épuisent des chambres dont vous pourriez avoir besoin par la suite. Pour ce faire, vous avez besoin de vous appuyer sur votre PMS pour bien comprendre quels canaux vous vendent sur quels mois, avec quelle anticipation et quelle rentabilité ils vous laissent. Sans cette information, il vous est impossible de commencer à prendre des décisions.
  • Bannir le célèbre « matelas » (c’est-à-dire la nécessité de compter sur un grand nombre de réservations anticipées). S’il s’agit d’une date à forte demande et que vous l’avez remplie ces 10 dernières années, y compris si vous avez affirmé que vous auriez pu remplir deux fois l’hôtel, n’ayez pas peur de sélectionner les canaux grâce auxquels vous souhaitez remplir cette date dès le premier jour, et même de ne pas ouvrir les moins rentables et opaques (qui ne vous garantissent pas de contrôler le PVP). Si vous attendez d’avoir le traditionnel « matelas », vous finirez par regretter ces chambres lorsqu’arrive le moment de pouvoir vendre à un prix supérieur.
  • Sortir de la zone de confort. Prendre des décisions difficiles n’est pas chose simple. Cela suppose de la détermination et comprendre que l’intermédiation ne va pas vous faciliter la tâche (peurs, menaces, tensions). Trouver ce nouvel équilibre qui permettra que votre rentabilité explose ne sera pas aisé mais c’est l’unique option que vous ayez si vous souhaitez récupérer le contrôle de votre distribution.
  • Bonus. Si celui qui doit être à la tête de ce changement de modèle de distribution, afin d’augmenter la rentabilité (RevPAR net) de votre hôtel, n’a pas de bonus clair, cela ne marchera pas. Autrement dit, si votre directeur ou revenue manager ne gagne pas plus avec tout ce travail à réaliser, il finira par y renoncer et par revenir dans la zone de confort. Au final, pourquoi travailler deux fois plus si je gagne la même chose ?
  • Rompre certains contrats. Beaucoup de contrats avec les distributeurs se composent de clauses de parité des prix et de stock qui, aujourd’hui, ne sont plus légales en France. De la même manière que l’intermédiation ne respecte pas les contrats, il vous faudra contourner de façon sélective un grand nombre de contrats afin de réorganiser au mieux votre distribution.

Conclusion

Si nous rivalisons avec la distribution dans les domaines où elle est nettement supérieure, nous sommes voués à l’échec. Les énormes quantités d’argent que les hôtels consacrent au SEO, au SEM (de marque ou génériques) ou aux méta-moteurs confirment seulement que le point central n’est pas le bon. Pour l’instant, peu d’hôtels ont compris que la meilleure stratégie est la gestion de stock (puisqu’elle est plus efficace et demande moins d’investissement, même si elle requiert également de la capacité d’analyse, une connaissance du fonctionnement de la distribution et de la diplomatie pour retrouver un équilibre dans les relations) ou comme alternative, l’ajustement des prix pour que chaque canal prenne en charge ses différents coûts de distribution, ce qui fera l’objet d’un autre post.

David n’a pas eu besoin d’une armée pour renverser Goliath. De la même manière qu’il avait un lance-pierres, vous possédez votre précieux stock, vos chambres. C’est un combat inégal mais vous avez le pouvoir de le mener intelligemment.